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Maroc : Tanger la rebelle a changé de siècle

REPORTAGE - La modernisation du port de Tanger, pour en faire le premier d’Afrique, a métamorphosé la ville adoptive de Jean Genet.

Antoine Malo à Tanger (Maroc) , Mis à jour le
Projet de la future marina de Tanger prévue pour accueillir jusqu'à 1.400 voiliers et yachts.
Projet de la future marina de Tanger prévue pour accueillir jusqu'à 1.400 voiliers et yachts. © Tanja Marina Bay

Sagement alignés, les milliers de containers patientent sous le timide soleil printannier. Au loin, dans la brume, se dessinent le rocher de Gibraltar et les côtes andalouses au large desquelles des cargos croisent lentement. Le ballet des camions venus décharger leur cargaison a débuté. "C'est ici que la renaissance de Tanger a commencé", explique Zouhair Magour, un homme d'affaires marocain. Ici, c'est Tanger Med, un port sorti de nulle part en 2007, aujourd'hui deuxième d'Afrique et qui ambitionne de devenir le premier de la Méditerranée. Ce sont des kilomètres de docks, près de trois millions de passagers qui débarquent chaque année des ferrys, des tonnes de marchandises (51,3 millions en 2017) qui y transitent. Le port, à 40 kilomètres à l'est de Tanger, dessert 174 destinations dans le monde. Il est même devenu trop petit et un second terminal, Tanger Med II, est en cours d'achèvement.

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Difficile d'imaginer qu'il y a quinze ans, à l'endroit des nouveaux bâtiments dessinés par Jean Nouvel, se trouvaient des plages paradisiaques et que sur ces collines balafrées par l'autoroute paissaient des moutons. Mais voies ferrés et routières, ponts, tunnels ont poussé comme des champignons. Jamais, au Maroc, région n'aura connu pareil développement en aussi peu de temps. "Personne n'y croyait au début, confie Rachid Taferssiti, président de l'association Al-Boughaz, qui défend le patrimoine de Tanger. Auparavant, il fallait des mois pour réparer un trottoir…"

 

Mais voilà. A son arrivée au pouvoir, en 1999, Mohammed VI , conscient de la position stratégique de Tanger, décide d'en faire un hub international, un pôle industriel de premier ordre. Deux zones franches sont ainsi créées. En 2012, Renault y inaugure sa plus grande usine du continent africain, entraînant dans son sillage des entreprises du secteur. Avec 80.000 salariés, l'industrie automobile est devenue le premier employeur de la région. Les salaires bas, une fiscalité très avantageuse, la sacro-sainte stabilité du Maroc attirent aussi les acteurs mondiaux de l'aéronautique, de l'agroalimentaire, de la logistique. Plus récemment, un nouveau projet titanesque de 11 milliards de dollars, baptisé Cité Mohammed VI Tanger Tech, a aussi été initié. Dans cette zone industrielle, à 9 kilomètres de Tanger, s'installeront des entreprises chinoises. Avec la promesse de milliers d'embauches pour les Marocains.

L'âme de Tanger menacée?

Tanger revient de loin. Pendant des décennies, négligée par Hassan II parce que foyer de contestation politique, elle était une belle endormie qui vivait de souvenirs : ceux d'une ville cosmopolite, avec statut de zone internationale entre 1923 et 1956. Ceux d'une cité refuge pour écrivains sulfureux comme Paul Bowles ou William Burroughs. Depuis 2003, Simon-Pierre Hamelin tient au centre-ville la célèbre Librairie des colonnes, où Jean Genet avait ses habitudes. Mais il ne regrette pas les temps anciens. "Le paradis, c'est maintenant. Il faut voir le nombre de galeries qui ouvrent, le nombre d'artistes qui émergent."

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Car dans une même folie des grandeurs, la ville aussi s'est métamorphosée. La corniche a été réhabilitée, les rues du centre ont été élargies. Trois malls sont soudainement sortis de terre. La gare ferroviaire accueillera bientôt le TGV, cet été disent les plus optimistes. Le port a fait, lui aussi, peau neuve, abritant une marina pouvant accueillir jusqu'à 1.400 voiliers et yachts de luxe.

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Il y a toujours eu une atmosphère particulière, qui a contribué à créer le mythe de la ville

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"Tout ça va peut-être un peu trop vite", soupire Jürgen Leinen, propriétaire allemand d'une splendide maison d'hôtes perchée sur les hauteurs de la médina. Farida, son épouse, acquiesce. Et grimace à l'idée que, l'année prochaine, un téléphérique puisse relier le port à la vieille ville arabe. Ces transformations menaceraient-elles la fameuse âme de Tanger? "Il y a toujours eu une atmosphère particulière, qui a contribué à créer le mythe de la ville", explique Rachid Taferssiti. Selon Simon-Pierre Hamelin, le libraire, le lieu est unique car il y souffle un vent de tolérance sans pareil. "On peut s'inventer une nouvelle vie ici et on vous accorde le droit de le faire", poursuit le Français. Il se souvient notamment d'un Ecossais qui vendait frauduleusement des titres de noblesse. "Il vous faisait duc ou baron en signant un bout de papier. C'était n'importe quoi mais dans le bar où il officiait, les serveurs le traitaient comme si c'était vrai." Beaucoup se sont perdus à Tanger dans les vapeurs d'alcool, la drogue, la prostitution. "C'est la ville du péché", résume l'universitaire Khaled Amine.

Une image d'Epinal

Cette image d'Epinal fatigue un peu la jeune génération marocaine. "Nous sommes passés à autre chose", explique Amina Mourid, Franco-Marocaine de 26 ans qui codirige Think Tanger, un atelier culturel qui réfléchit aux mutations de la métropole. Pour s'en rendre compte, voici le Technopark, au centre-ville. Cinquante start-up cohabitent dans cette pépinière, créée en 2015. "L'objectif est d'en accueillir une centaine d'ici à l'année prochaine", explique Asma Azeddou, la responsable. Zoubair Chaachouh, patron de Sendatrack, spécialisé dans la localisation par GPS, y a installé son équipe en novembre dernier. Tangérois de naissance, il n'était pas revenu dans sa ville depuis quinze ans. "Je ne l'ai pas reconnue", avoue-t-il.

Jusqu'où ira ce développement? "Il y a sûrement des limites, mais ce n'est pas demain qu'on les atteindra", affirme Adil Rais, vice-président de la CGEM-Nord, le syndicat patronal. Sauf que, depuis le début du siècle, la population de Tanger a doublé, pour atteindre au moins un million d'habitants. On vient désormais de tout le Maroc pour trouver un emploi et les travailleurs s'entassent à la périphérie. Certains quartiers, comme Beni Makada, sont déjà confrontés aux problèmes de radicalisation religieuse ou de trafic de drogue. "C'est pour ça qu'il faut rendre la ville plus inclusive, explique Amina Mourid. Sinon, on va se retrouver avec un phénomène de banlieues comme en Europe."

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